LaBoetie

De La Boétie enfant a été trouvé endormi enroulé dans une rose de Verlaine. Il était alors tout jeune et minuscule. Sa maman l'avait déposé là en lui promettant qu'on prendrait soin de lui, avant de s'éloigner sans se retourner. On sait seulement qu'elle a demandé en secret audience à Silvana, qui a accepté de s'occuper du petit illégitime et de garder le secret sur ses origines. Le veilspun n'a pas beaucoup grandi depuis, mais il ne rentre plus dans les fleurs. Il garde précieusement le souvenir fané d'une belle dame aux caresses douces et aux yeux aimants, mais a depuis longtemps perdu l'ambition de la revoir. Saint-Exupéry a su lui apprendre à considérer ce souvenir comme un trésor plutôt qu'une source de mélancolie.

Il a d'abord habité auprès de Brontë dans la nurserie, parmi les petits du clan, au milieu des jouets de Rowling, chéri et gâté au-delà des mots. C'était un petit très poli et très bien élevé, à qui il ne fallait jamais répété un reproche deux fois. Contrairement à nombre de ses petits camarades, le veilspun aimait beaucoup les visites au centre médical, et particulièrement au pédiatre Racine. Il a toujours eu à cœur de répondre aux attentes et aux ambitions de Silvana. Très jeune, il a émis le vœu de devenir à son tour soigneur lorsqu'il serait plus grand. Ce qui ne l'a pas empêché de profiter abondamment des cours de danse, de peinture de musique et de théâtre, sans parler des bons petits plats.

De la Boétie est un dragon raffiné et élégant, cultivé et aimable, certains diraient même délicieusement mondain. Il pousse la délicatesse à l'extrême, par crainte de froisser son interlocuteur et se montre toujours extrêmement prévenant. Discret, respectueux des traditions et des valeurs du clan, le mot qui semble le mieux le définir est sans doute aristocratique, ce qui pose de nombreuses questions sur ses origines. Il faut dire qu'en plus de ses manières parfaites et de sa conversation brillante, De La Boétie possède une beauté presque angélique qui rend beaucoup admiratifs. Il participe toujours complaisamment aux activités de groupe du clan, que ce soit la préparation d'une pièce de théâtre, d'un vernissage ou d'une fête. C'est un fidèle de Baudelaire, chez qui il adore partager une tasse de thé, ainsi qu'un bon ami de Rambouillet.

Après une scolarité sur laquelle Calypso n'a rien trouvé à redire, De La Boétie a entamé de brillantes études de médecine. Prenant conseil auprès de Silvana, il a choisi des spécialités paramédicales absentes de la maison de santé afin de pouvoir rester dans son clan d'adoption plus aisément. C'est ainsi qu'il est devenu dermatologue, squamotologue, pédicure et podologue, rien que ça. Au côté d'Andersen et Aulnoy, il traite les problèmes de peau, prend soin des écailles et soigne les membranes des ailes. C'est lui qu'on vient voir pour une écaille incarnée, une mauvaise repousse des poils ou une cicatrice disgracieuse. A l'adolescence, il est l'allié des adolescents subissant les poussées d'hormones désastreuses et sait les crèmes et les limages pour faire reluire comme des pierres précieuses les écailles les plus ternes. Ce n'est pas pour rien que la diva du clan lui rend de fréquente visite, terrorisée à l'idée d'ébrécher la moindre écaille. La Boétie est également en charge de la bonne santé des griffes des membres du clan. Un sujet sur lequel Tsvétaïéva ne badine pas. Hors de question que l'un de ses guerriers se retrouvent privé d'une arme naturelle aussi essentielle. Le veilspun travaille également avec La Bruyère sur la posture de ses camarades afin de corriger et soulager courbatures ou maux de dos. Sa plaque trône fièrement à l'entrée de sa salle de consultation au sein du centre de soin, assez grande pour accueillir même ses plus volumineux patients.

Aubry lui a fabriqué pour demeure un élégant nid de rotin que O'Hara a niché dans un pêcher embaumant, non loin du cerisier de Porcairagues. De délicates marches en bois enroulées autour du tronc lui permettent d'y accéder confortablement. L'intérieur est aménagé simplement mais avec le bon goût qui le caractérise. De La Boétie a notamment requis le concours de Villon pour décorer l'endroit d'enluminures florales raffinées. Il garde en effet une tendresse particulière pour le jardin de Verne, qu'il continue à visiter fidèlement. Rambouillet a confectionné pour son couchage une myriade de petites couvertures de dentelle délicates qui constitue un édredon d'une rare délicatesse.